
La mort
«De toute façon, il ne peut pas voir ce qui me tue, il ne peut pas le voir même en le lui répétant comme je sais si bien le faire, répéter sans arrêt ni variation jusqu’à ce que ma parole devienne un bourdonnement, une prière que je lui adresse pour exorciser ce quelque chose qui tarde à se passer entre nous, et que pourrait-il se passer exactement, je n’en sais rien, une poignée de mains qui se prolongerait toute une nuit, un baiser qui aurait trop de bouches à offrir, et puis après tout il se peut que m’assister dans ma façon de m’allonger près de lui et de me tenir entre la supplication et l’abdication, il ne peut que tenir bon, pour ceux qui n’ont pas tenu bon, pour ceux qui n’ont pas tenu à moi, et sans doute tient-il bon mais il ne peut rien faire d’autre ou si peu, que constater que je suis malade de dire ce que je dis, et en fait de quoi est-ce que je parle inlassablement, de quoi s’agit-il jour après jour, eh bien je parle de lui peut-être, du seul homme que je voudrais aimer et qui est aussi le seul que je ne peux pas aimer, et si je ne peux pas l’aimer c’est sans doute pour les mêmes raisons qui font de lui un homme digne d’être aimé, un homme à sa place avec sa femme et ses enfants, un homme pour qui je suis une fille et qui ne posera jamais les gestes que tous voudraient poser, un homme sain et équilibré qui ne sera jamais qu’un psychanalyse payé pour tenir bon, et il a certainement décidé qu’un jour un homme sera amoureux de moi et moi de lui, comme si ça allait de soi, comme si l’amour était une fatalité, alors que je le veuille ou non il faudra bien qu’un homme se dresse sur mon chemin pour m’enlever sur son cheval, lui m’entourant de ses bras et moi les pieds dans le vide, moi et lui galopant vers je ne sais quelle union éternelle, et ce sera un homme comme lui sans doute, sain et équilibré, et pourquoi donc le faudrait-il monsieur le psychanalyse, vous savez bien que je n’en voudrai pas de cet homme car je ne veux que ce que je ne peux pas avoir, comme vous par exemple, je vous veux parce que je ne vous aurai jamais, c’est simple et sans issue, c’est désespérément logique, le désir qui ne connaît de réalité que lui-même, et vous voyez bien que je mérite la mort pour cet entêtement de rat qui ne sait pas rebrousser chemin, pour cet acharnement de bestiole aveugle qui finira par crever d’avoir trop avancé, vous verrez bien, je mourrai de ce compromis que je ne veux pas faire, et tant pis pour les hommes sains et équilibrés qui m’aimeront et tant pis pour moi surtout qui en aimerai d’autres, on finit tous par mourir de la discordances de nos amours.»
Nelly Arcand, Putain.
L’amour
MOI, ELSIE
Paroles : Richard Desjardins
Musique : Pierre Lapointe
Interprète : Élisapie Isaac
Paraît que ton contrat achève.
Tu r’prends l’avion à’ fin du mois.
Écoute un peu, je serai brève.
Tu vas m’manquer, pas juste à moi.
Comme à ces filles dans les baraques
peuplées à mort dans le désordre
avec des cousins qui les traquent
dans l’garde-robe, au bout d’une corde.
Y en a pas une qui se protège
de rêver d’être seule avec toi.
T’es attirant comme un beau piège,
tes lèvres brillent comme un appât.
Je veux te dire comment j’me sens.
Je suis vraiment bien avec toi.
T’es fin, t’es doux pis t’es vaillant,
t’as un beau sexe, je l’veux pour moi.
Les filles, à soir, font un cortège
pour ramper jusque dans ton lit,
pour commettre le grand sacrilège :
aimer un Blanc, mouiller son nid.
Juste y rêver, ça les console,
je te transmets leur gratitude.
Et les aiguilles de leurs boussoles
s’en vont la nuit pointer au sud.
Tu te demandes peut-être pourquoi
j’prends pas un homme de ma rivière.
Quand ils s’allongent auprès de moi,
j’ai l’impression qu’ils sont mes frères.
Les gars ici n’arrachent beaucoup.
Ils viennent au monde, c’est même banal,
avec une flèche plantée dans l’cou
et quand ils parlent, ça leur fait mal
Sont pris dans un capteur de songes.
À la Coop, vas donc savoir,
y achètent de la poudre à mensonge
puis partent à chasse aux idées noires.
Quand leurs fusils ont tout vidé,
ils prennent alors nos coeurs pour cibles.
Toi, tu m’as prise sans m’posséder.
On aime un homme quand il est libre.
J’sais pas pourquoi, ça m’fait penser :
Peut-être une femme t’attend là-bas.
Comment te dire sans t’offenser
qu’y a rien d’éternel ici-bas.
Je sais, parler comme ça, c’pas bon.
Faut m’excuser, je fais d’mon mieux.
Juste pour te dire qu’on fait des ponts
où les rapides sont furieux.
Souviens-toi de ce nom : « Elsie »,
Comme du vent doux sur la toundra.
Et si un jour ton coeur choisit,
j’aimerais tellement qu’il vienne à moi.
Et si jamais c’était le cas,
faut qu’j’aille à Montréal cet automne.
M’emmèn’rais -tu dans l’boute d’Oka,
voir les couleurs, manger des pommes?
Paraît que ton contrat achève.
Tu r’prends l’avion à’fin du mois.
Écoute un peu, je serai brève.
Tu vas m’manquer, pas juste à moi.
Pas juste à moi
La vie
«Si on a déjà été victime d’une commotion cérébrale, ou même d’un simple évanouissement, ou plus gravement d’une amnésie temporaire, on a compris pour longtemps que le retour du flux narratif est le signal du retour à la vie. »
Suzanne Jacob, Histoire de s’entendre.
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