La mort
Tout homme qui se tient debout
Est le plus beau des monuments
Point n’est besoin pour sa mémoire
De statue ni de Requiem
Ni de Pavane ni de noir
Car on ne porte pas le deuil
De celui qui était si fier
Et qui était encore hier
Un homme libre…
Georges Dor, « Un homme libre».
L’amour
«J’ai rêvé cette nuit de paysages insensés et d’aventures dangereuses aussi bien du point de vue de la mort que du point de vue de la vie qui sont aussi le point de vue de l’amour. »
Robert Desnos, Corps et biens, Gallimard, Paris, 1930.
La vie
«Une fois, j’étais devant une épicerie et j’ai volé un oeuf à l’étalage. La patronne était une femme et elle m’a vu. Je préférais voler là où il y avait une femme car la seule chose que j’étais sûr, c’est que ma mère était une femme. On ne peut pas autrement. J’ai pris un oeuf et je l’ai mis dans ma poche. La patronne est venue et j’attendais qu’elle me donne une gifle pour être bien remarqué. Mais elle s’est accroupie à côté de moi et elle m’a caressé la tête. Elle m’a même dit :
«Qu’est-ce que tu es mignon, toi!
J’ai d’abord pensé qu’elle voulait ravoir son oeuf par les sentiments et je l’ai bien gardé dans ma main, au fond de ma poche. Elle n’avait qu’à me donner une claque pour me punir, c’est ce qu’une mère doit faire quand elle vous remarque. Mais elle s’est levée, elle est allée au comptoir et elle m’a donné encore un oeuf. Et puis elle m’a embrassé. J’ai eu un moment d’espoir que je ne peux pas vous décrire parce que ce n’est pas possible. Je suis resté toute la matinée devant le magasin à attendre. Je ne sais pas ce que j’attendais. Parfois la bonne femme me souriait et je restais là avec mon oeuf à la main. J’avais six ans ou dans les environs et je croyais que c’était pour la vie, alors que c’était seulement pour un oeuf. »
Roman Gary (Émile Ajar), La vie devant soi, Mercure de France, Paris, 1975, 273 p.